Takuba, comment Macron a flingué la Défense européenne
Sur le papier, la force Takuba était une excellente idée pour lancer un embryon de Défense européenne. Les opérations au Sahel contre les djihadistes donnaient l’occasion au président Macron de créer – adossée à Barkhane – une task force 100% européenne, indépendante politiquement de l’OTAN.
Le succès de l’opération aurait prouvé qu’une défense européenne autonome pouvait enfin voir le jour. D’autant que les bruits de canons aux frontières de l’UE nous rappellent aujourd’hui l’urgence du projet.
Véritable réussite tactique (participation de 10 pays européens, résultats militaires sur le terrain…) Takuba a viré au fiasco. En cause : l’incapacité du président Macron à renouveler la politique africaine de la France.
En 2020, Macron bat le rappel dans les capitales européennes.
Chef de guerre, le président français bat le rappel dans les capitales européennes. Pas moins de 10 pays de l’UE donnent leur aval et envoient des contingents de leurs forces spéciales au Mali.
Détail important, la mission d’une force militaire en opération extérieure doit toujours reposer sur une légitimité politique et populaire incontestable.
En 2013, celle-ci était solide. Le président Hollande avait autorisé à la demande de Bamako les opérations Serval puis Barkhane dans le cadre des accords de défense entre la France et le Mali. L’armée française stoppait les djihadistes qui fonçaient sur la capitale et menaçaient la stabilité du pays pour ensuite les contenir dans le nord du pays et les affaiblir.
Malgré les discours, la politique africaine française ne change pas.
En 2017, l’année de son élection, Macron proclame avec grandiloquence – lors d’un discours à Ouagadougou – la fin de la Françafrique. Les relations devaient être totalement repensées et donner lieu à un nouveau partenariat impliquant également l’Europe d’où l’idée de constituer la force Takuba.
Macron, bien que toujours prompt à traiter ses semblables de fainéants, n’a visiblement pas pris la peine de se pencher sur le sujet puisque jusqu’à aujourd’hui rien n’a changé.
La nouvelle coopération avec l’Afrique ressemble furieusement à la Françafrique, une combinaison traditionnelle d’interventionnisme militaire et d’aide au développement. Les opérations militaires dans le Sahel se poursuivent sur la même ligne que celle de son prédécesseur et l’Armée française enregistre des succès tactiques. Bon nombre de terroristes islamistes sont neutralisés.
Une absence de vision stratégique de Macron fatale à la force Takuba.
Si rien ne bouge à Paris, au Mali par contre le paysage politique évolue très rapidement.
En 2020, une première difficulté émerge avec la perte de légitimité politique des opérations militaires françaises. Le président Ibrahim Boubacar Keïta que Paris pensait solide, chute. Dans la foulée la junte militaire du colonel Assimi Goïta prend le pouvoir.
Difficile politiquement pour la France de composer avec des putschistes alors que les accords de défense reposent notamment sur la protection de la démocratie.
De plus, en échange d’accès à des ressources économiques, la junte conclue un accord de sécurité avec le groupe privé militaire russe Wagner. Pour une junte, il est toujours prudent de s’entourer d’une garde prétorienne… un nouveau coup d’État est si vite arrivé. Énervé, Paris souligne qu’une cohabitation de deux forces militaires concurrentes n’est pas possible.
Seconde difficulté pour Macron, la légitimité populaire de l’intervention militaire française au Mali s’effrite.
Après un second coup d’État en 2021, un nouveau Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga formé à Moscou – ce qui explique le rapprochement de Bamako avec la Russie – est nommé. Ce nouveau chef du Gouvernement qui a une longue expérience politique est issu du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) un mouvement très populaire dans le pays.
Ce mouvement s’est cristallisé autour de Mahmoud Dicko, un imam écouté et influent qui affiche depuis toujours des positions résolument anti-occidentales. L’imam Dicko originaire de la région de Tombouctou dans le nord du pays entretient des contacts avec les djihadistes. Il a déjà l’expérience de précédentes tractations. Il semble donc en mesure de négocier une solution politique avec les nombreuses factions islamistes et indépendantistes en conflit avec le pouvoir central de Bamako.
A Bamako, on ne croit plus à la solution militaire pour régler les conflits
Cette perspective politique fait la quasi unanimité chez les acteurs politiques maliens. A Bamako, plus personne ne croit à une solution militaire pour régler les problèmes de sécurité au Sahel.
De plus c’est toute l’organisation institutionnelle démocratique et laïque du pays héritée de l’ancienne puissance coloniale occidentale qui est contestée. Au Mali, la démocratie libérale ne fait pas plus recette qu’en Afghanistan.
Depuis nombre d’années, elle est accusée d’être la cause de la corruption endémique qui gangrène le pays, d’être incapable de résoudre les conflits et d’avoir éliminé la médiation ancestrale opérée par les élites religieuses musulmanes.
Mais la solution de la négociation entre en totale contradiction avec la vision classique du président Macron basée sur le statu quo institutionnel et la poursuite des opérations militaires. Cette incompatibilité finit de ruiner la légitimité des opérations françaises.
La fin de Takuba et des espoirs d’une Défense européenne
Faute d’un infléchissement politique et d’un retrait concerté des forces armées, c’est l’engrenage fatal et la débâcle pour Takuba, alors que l’opération est un véritable succès tactique : participation de 10 pays européens et succès militaires sur le terrain.
Le ton monte entre les deux gouvernements par les voix de Florence Parly (Défense) et de Jean-Yves Le Drian (Diplomatie) jusqu’à l’expulsion, le 31 janvier 2022, de l’ambassadeur français à Bamako. Puis en février, les autorités maliennes, somment publiquement les forces françaises et les composantes européennes de la force Takuba de se retirer au plus vite de leur territoire.
Amers, les partenaires européens de la France peuvent à juste titre reprocher à Macron de leur avoir caché la légitimité politique bancale de l’opération Takuba. Il est clair que la confiance est aujourd’hui rompue et lorsque la France sollicitera ses alliés, ceux-ci y réfléchiront à deux fois, avant de s’aventurer dans une autre opération militaire commune.
Cet épisode fâcheux devrait, hélas, repousser aux calendes grecques la constitution d’une défense européenne, alors que l’invasion de l’Ukraine remet cette question urgente sur le devant de la scène.
Photo : Ministère des Armées.